En stations de sports d’hiver, la difficile transition de “l’or blanc”

La saison a commencé à Noël, sous une neige abondante; elle a failli se déchausser devant les températures clémentes de début janvier. Puis, l’averse de pluie a terminé l’enthousiasme général. “C’est plus vert que blanc, j’en ai marre”il soufflait de façon saisonnière.

Larguées il y a une semaine, plusieurs dizaines de centimètres de neige fraîche ont décoincé le nez et ravivé le doux crissement des télésièges. Le froid a même permis de réveiller les canons à neige.

Arrêtez de nous enterrer, nous sommes en pleine saison !

Destination hivernale pour 14% des skieurs français, les Alpes du Sud sont tiraillées entre la météo hebdomadaire et le changement climatique depuis un siècle. Ou la décennie.

“Ne nous enterrez pas avec des sujets sur le manque de neige, nous exclamons-nous dans une destination de moyenne altitude. La neige reste le produit phare, celui qui attire le plus. Pendant les vacances de Noël, nous avons une bonne fréquentation et une bonne satisfaction. Nous sommes encore au milieu de la saison !”

Descente dure non “se réinventer, sans oublier l’hiver”.

En une génération, le manteau neigeux a considérablement diminué. La saison de neige se raccourcit, ce qui se poursuivra à l’avenir, selon la communauté scientifique. A basse altitude, un réchauffement de 2° coûtera 40% de neige en moins. A moyenne altitude, dans les Alpes du Sud, il a déjà perdu près d’un mois d’enneigement depuis les années 1970.

Surtout en fin de saison

“Il y a de grandes variations d’une année à l’autre, alerte Antoine Nicault, coordinateur de Grèce du Sud, un groupe d’experts au niveau régional, sur l’évolution du climat. Mais la tendance est à la diminution de la neige au sol. En fin de saison, la réduction de l’épaisseur maximale de neige est particulièrement sensible. Dans les mois de mars et avril.”

Selon l’endroit où vous vous trouvez en montagne, les résultats montrent des variations importantes. « La hauteur de la charnière est comprise entre 1 000 et 2 000 mètresles coordonnées du scientifique. Dans le Mercantour, avec un réchauffement de 2°, on perdrait 42% du manteau neigeux à 1200 mètres. Plus haut, à 2 700 mètres, cette perte serait de 20 %.

Malgré le contexte, certains espèrent encore gagner du temps. “Cette année est atypique”, estime le maire de Roubion, dans la vallée de la Tinée, où il faisait 10° début janvier. Le petit domaine skiable est allé yoyo. Fermé puis ouvert, et même “avec des forfaits gratuits” le week-end de la mi-janvier, pour fêter le retour de la neige et du froid.

“Les scientifiques disent que le modèle de la neige est terminé, n’est-ce paspoursuit le maire Philippe Bruno. Mais les anciens nous rappellent aussi que l’enneigement a fait défaut de temps en temps dans le passé.” Douteux? Ce n’est pas tant sur la trajectoire, mais sur la vitesse d’évolution du climat que s’interroge tout haut l’élu.

“Ici ça fait 15 ans qu’on réfléchit à se diversifier sur l’étéil argumente. Escalade, via ferrata, canyoning, aujourd’hui VTT électrique.” Comprenez, pas de temps perdu.

L’épine dorsale du domaine

En 2019, le télésiège des Buisses a été rénové, et a même doublé sa capacité, une dépense de 3,5 millions d’euros, financée grâce à des subventions. « C’est vrai, on s’est posé la question : faut-il le remplacer ? répondit le maire. Mais nous avons imaginé cet outil dans un cadre à 4 termes. Alors nous l’avons fait. Cela ouvre un grand potentiel en altitude.”

Descente en VTT, randonnée (avec vue sur la mer !), ou encore visite archéologique : la découverte d’un sanctuaire gaulois de l’Age du Fer ouvre la porte à une offre culturelle structurée pour Roubion.

“Ce télésiège est l’épine dorsale du domaine”décrire les services du Ministère, une communauté qui a soutenu financièrement le choix des élus.

Investissements structurels

Le constat est là : les investissements structurants sont loin d’avoir quitté le ski versant de la montagne.
Charles-Ange Ginesy, président du conseil départemental des Alpes-Maritimes assume : “Oui, c’est une économie qu’il faut savoir entretenir, pour que ceux qui vivent de la neige puissent continuer.”

“On ne sait pas se passer de ce modèle”

D’ici 2050, le Département prévoit néanmoins qu’une année sur deux sera difficile, faute de neige, contre une sur cinq actuellement. “C’est une transition qui va se faire lentement, continue celui sélectionné. D’abord parce qu’on ne peut pas se passer d’un modèle de station de sports d’hiver qui représente un chiffre d’affaires important et le succès rencontré cet hiver prouve que la neige reste un vecteur très attractif. Ensuite, il permet d’amortir les investissements qui ont été lancés. Ça ne peut pas être une étincelle qui nous fait basculer du jour au lendemain.”

Autres stations du sud, Gréolières et L’Audibergue mettent en avant leur “esprit résilient”. « Nous ne voulons pas être dans le concept de tourisme de masse, mais miser sur le sport, les activités de pleine nature, la sensibilisation au milieu naturel, répond Damien Matteoli, chargé de communication. Chaque euro investi doit être utilisé pour les 4 saisons, c’est la règle désormais.”

Déjà durant l’hiver, 75% des activités proposées à la station »peut être fait sans neige”, il assure. Et pour le reste, on s’adapte. Si nécessaire, “le ski de randonnée se transforme en voyage, le biathlon en trail running”.

Les saisonniers font grève « de plein fouet »

Car sur les versants alpins, la neige reste le meilleur pourvoyeur d’emplois. L’écosystème du ski mérite bien son surnom “d’or blanc”.

Selon les calculs du conseil départemental des Alpes-Maritimes, “pour 1 euro investi dans les domaines skiables, 6 euros reviennent en dépenses directes dans l’économie locale”. Ce rapport de un à six est un coefficient très difficile à égaler. “On ne peut pas encore reproduire un tel ratio sur les activités estivales.”

On estime que 2 000 emplois sont créés directement par les domaines skiables en hiver. C’est le cas d’Emmanuelle Poulain, qui fait les saisons d’hiver dans la station de Gréolières depuis 15 ans. “Aujourd’hui, les travailleurs saisonniers sont durement touchéselle témoigne. Quand les pistes se ferment, les équipes se rétrécissent.”

Nous avions l’habitude de dire que nous nous garnissions de blanc.

Venu dans le Mercantour, pour cultiver le safran, à Cipières, il s’alarme de l’évolution générale du climat. “En hiver, il manque de neige. En été, la gestion de l’eau est compliquée. Cela nous fait prendre conscience que nous sommes au pied du mur.”

Elle diversifie également son activité, avec une brasserie à la ferme ouverte l’été. Mais c’est difficile à rattraper. Quand en hiver, la neige fait sourire la destination, “Nous avions l’habitude de dire que nous étions de la drogue blanche.”

Adapter ou protéger ?

Dans ce contexte, « La neige artificielle peut permettre de sécuriser quelques années, mais ce n’est pas une adaptation, poursuit le scientifique Antoine Nicault. Il assure plutôt l’activité économique. Cela ne devrait pas empêcher de réfléchir à l’adaptation, à mon avis.”

Il y a aussi moins de neige “des conséquences fortes sur les ressources en eau, car cela affecte les réserves qui alimenteront les rivières au printemps et en été”. Plus la neige fond tôt, plus la période d’étiage est longue, “Les flux vont diminuer plus tôt dans la saison”. Et la montagne n’est pas la seule en cause, mais toute la côte, en aval du fleuve.

Parc du Mercantour, “complémentaire”

Avec 600 000 visiteurs en montagne, majoritairement en été, le Parc National du Mercantour est déjà “espace réservé, facteur d’attraction”basé sur le modèle A “tourisme d’observation et de découverte de la nature”.

Sa directrice Aline Comeau considère le parc “complémentaire à l’offre ski tourisme, et même force de l’offre”grâce à un autre type d’expérience client. “Notre mission est d’intéresser les gens, avec une gamme d’activités. C’est-à-dire d’améliorer le patrimoine naturel, tout en le préservant.”

Cette offre éco-touristique peut exister en hiver, “comme ce qu’on fait déjà l’été”. Pour l’avenir de la montagne, Aline Comeau fait une nette distinction “deux échéances, l’une à court terme, l’autre à moyen terme”. La pérennité du matériel alpin, qui a nécessité de gros investissements, n’empêche pas la nécessité de “de sortir un modèle d’ici 20 à 30 ans. Ceux qui se préparent le mieux sont ceux qui commencent le plus tôt. Nous sommes prêts à le faire, avec les collectivités”.

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